Histoires inédites : la communauté juive d’Irak

20 janvier 2025

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La communauté juive kurde d'Irak célèbre la dernière nuit de Hanoukka. (RUDAW)

La communauté juive kurde d'Irak célèbre la dernière nuit de Hanoukka. (RUDAW)


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Cette série d’articles, par la journaliste Dida Faridoon, explore les politiques de pluralisme en Irak deux décennies après la rédaction de la constitution irakienne. Elle examine la position de la constitution permanente de la République d’Irak de 2005 et envisage la possibilité de réviser les principes fondamentaux et de modifier certains articles constitutionnels à la lumière des priorités changeantes. Le CFRI publie cette série en français, sous la supervision du Dr. Saad Salloum, dans le cadre de ses efforts pour présenter les perspectives des différentes communautés irakiennes sur la constitution. Cette série évalue les garanties prévues pour la protection des droits et des libertés publiques et discute des perspectives d’amélioration du cadre constitutionnel afin de mieux soutenir un système démocratique en Irak post-dictature.

Après que les Britanniques aient établi les frontières de l’Irak en 1921 et couronné Fayçal comme son premier roi, l’Irak moderne est né. Quatre constitutions ont été rédigées pour le pays jusqu’en 2003, date à laquelle le dictateur Saddam Hussein a été renversé. La création d’une nouvelle constitution pour l’Irak a commencé en 2005 sous la direction de l’Autorité provisoire de la coalition, dirigée par l’ambassadeur américain Paul Bremer.

Une photo avec des membres rédigeant la constitution en 2005. (Source : Documentaire Untold Stories de Dida Faridoon).

Le Conseil de gouvernement irakien a formé un comité constitutionnel composé de 55 membres, représentant les Chiites, les Sunnites, les Kurdes, ainsi que quatre représentants des communautés Turkmène, Assyrienne, Chrétienne et Yézidie. Cependant, des dysfonctionnements au sein de la structure gouvernementale et du système juridique ont rapidement surgi ce qui a aggravé les tensions et débouché sur une guerre sectaire en Irakiens. Les tensions entre les communautés chiites et sunnites se sont particulièrement intensifiées, ravivant les conflits hérités de l’époque de Saddam Hussein qui ont pu à nouveau surgir plus tard avec l’ascension de Daech en 2014. Cette période turbulente a radicalement remodelé le paysage démographique de l’Irak, entraînant des changements significatifs.

Rédaction de la Constitution. (Source : Documentaire Untold Stories de Dida Faridoon.)

La Constitution irakienne intègre de nombreux  articles destinés à garantir les droits des différentes communautés du pays. Toutefois, les expériences vécues par les citoyens irakiens, qu’ils soient de la région du Kurdistan du nord ou dans les  provinces méridionales, révèlent une réalité plus complexe et souvent ignorée. Parmi ses dispositions, l’article 44 alinéa 2, revêt une signification particulière : il stipule explicitement qu’aucun Irakien ne peut être exilé, expulsé ou se voir refuser l’entrée dans son pays d’origine. Cet article prend une résonance particulière lorsqu’il est confronté à l’histoire de  la communauté juive d’Irak.

Le peuple juif a des racines profondes en Irak, avec une présence documentée remontant au XVIe siècle avant notre ère. Le judaïsme, la première religion monothéiste pratiquée en Irak, était historiquement important, avec des communautés juives présentes dans toutes les provinces jusque dans les années 1950. Aujourd’hui, la population juive a considérablement diminué. Nous avons effectué des visites sur le terrain à Bassorah, Bagdad, Koya, Kirkouk, Alqosh et Erbil pour recueillir des informations sur l’héritage de cette communauté. De nombreux sites associés au patrimoine juif ont été retrouvés vandalisés, y compris le seul cimetière juif de Bagdad.

Une photo à Alqosh. (Source : Documentaire Untold Stories de Dida Faridoon).

La représentation juive dans le gouvernement irakien était limitée, principalement lors de la création de l’État irakien en 1921, lorsque Sassoon Eskell était ministre des Finances. Cependant, la communauté juive d’Irak a commencé à subir des persécutions, en particulier pendant le Farhoud en 1941, sous l’influence nazie. Selon diverses sources, de nombreux Juifs ont été tués ou blessés au cours de cette période.

Pour recueillir des informations, nous nous sommes rendus à Bassorah, Bagdad, Koya, Kirkouk, Alqosh et Erbil. Certains endroits que nous avons visités avaient été vandalisés, y compris le seul cimetière juif de Bagdad.

Edwin Shuker, figure éminente et philanthrope de la diaspora juive irakienne, est né à Bagdad en 1955. Il a émigré avec sa famille au Royaume-Uni en 1971. Entre 1950 et 1951, environ 120 000 Juifs inscrits dans les synagogues irakiennes ont émigré en Israël, partant sans possibilité de retour. Shuker a expliqué : « En 1951, le gouvernement irakien a promulgué une loi stipulant que les Juifs enregistrés perdraient tous leurs biens – biens, argent, même vêtements. » Il se souvient : « Un homme ne pouvait prendre que trois costumes, une femme quatre robes, quatre livres, une seule bague et vingt dollars. » La voix de Shuker s’est brisée lorsqu’il a raconté : « Ils ont été dépouillés de tout ce qui représentait 2 600 ans d’histoire et n’ont eu que trois mois pour quitter le pays, sans droit d’y retourner. » La seule option était de se réinstaller en Israël, dont la population était à l’époque d’environ 650 000 habitants, mais qui a rapidement augmenté.

Edwin Shuker à la synagogue à Bagdad. (Source : Documentaire Untold Stories de Dida Faridoon).

Dans la région semi-autonome du Kurdistan, j’ai rencontré Ranj, qui m’a montré des sites historiques de la communauté juive, à commencer par Ta’jil. Il a partagé : « Au fur et à mesure que la population juive de la citadelle d’Erbil augmentait, elle s’est développée ici. » Il m’a montré une synagogue, aujourd’hui en ruine, qui aurait environ 150 ans. Regardant la citadelle, maintenant réduite en ruines, il a ajouté : « Quand ma famille vivait dans la citadelle, elle était animée, mais maintenant elle est en ruines. » Ranj a expliqué qu’ils espèrent rénover le site pour continuer à l’utiliser à des fins religieuses. « C’est un lieu sacré pour les Juifs du Kurdistan », a-t-il dit. « Il servait à la fois d’école et de synagogue, avec un sous-sol qui contenait la Torah. Nous allumions des bougies et célébrions le Shabbat chaque semaine. Nos parents disaient que cela date d’environ 150 ans.»

Ranj à la citadelle d’Erbil. (Source : Documentaire Untold Stories de Dida Faridoon).

Dans la région du Kurdistan, la communauté juive a un représentant au ministère des Dotations et des Affaires religieuses. À Koya, j’ai rencontré Sherko Osman, le représentant de la communauté juive du Kurdistan. Il était impatient de partager l’héritage juif de la ville. Interrogé sur Israël, un pays non reconnu par le gouvernement irakien, et les restrictions sur les voyages en Israël, il a exprimé son inquiétude : « Nous sommes inquiets. Les gens qui viennent ici rencontrent de nombreux obstacles. Bien qu’il soit valable de restreindre ceux qui ont des intentions néfastes, rendre visite à la famille ne devrait pas être un crime.» Son ton exprimait la tristesse et la frustration.

Sherko à Koya dans une rue de la vieille ville. (Source : Documentaire Untold Stories de Dida Faridoon).

En 1951, les tribunaux irakiens ont autorisé les Juifs à émigrer en Israël s’ils renonçaient à leur citoyenneté et à leurs biens. Alors que l’espoir d’un nouvel Irak inclusif a été suscité après 2003, aucun progrès n’a été réalisé vers la restauration de leur identité ou de leurs biens.

À la lumière de la riche histoire et de la résilience de la communauté juive d’Irak, il est crucial pour l’Irak de favoriser l’inclusion et la réconciliation. Dotée d’une compréhension du passé diversifié de l’Irak, la jeune génération peut jouer un rôle central dans la défense du changement. À mesure que l’Irak progresse, sa constitution doit évoluer pour soutenir une véritable représentation de toutes les communautés, y compris la population juive.

Le seul cimetière Juif en Irak (Bagdad) dans le quartier de Sadr. (Source : Documentaire Untold Stories de Dida Faridoon).

Les informations et opinions contenues dans les articles du site du CFRI sont exclusivement celles de leur(s) auteur(s) et ne sauraient engager la responsabilité du centre.

Pour citer cet article : Dida Faridoon, "Histoires inédites : la communauté juive d’Irak", Centre Français de recherche sur l'Irak (CFRI), 20/01/2025, [https://www.cfri-irak.com/article/histoires-inedites-la-communaute-juive-dirak-2025-01-20]

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